30/06/2013
Morceaux choisis - Paul Fort
Paul Fort
- Ecureuil du printemps, écureuil de l'été,qui domines la terre avec vivacité,que penses-tu là-haut de notre humanité? - Les hommes sont des fousqui manquent de gaîté. - Ecureuil, queue touffue, doré trésor des bois, ornement de la vie et fleur de la nature,juché sur ton pin vert,dis-nous ce que tu vois? - La terre qui poudroie sous des pasqui murmurent. - Ecureuil voltigeant, frère du pic bavard,cousin du rossignol, ami de la corneille,dis-nous ce que tu voispar delà nos brouillards? - Des lances, des fusilsmenacer le soleil. - Ecureuil, cul à l'air, cursif et curieux,ébouriffant ton col et gloussant un fin rire,dis-nous ce que tu voissous la rougeur des cieux? - Des soldats, des drapeauxqui traversent l'empire. - Ecureuil aux yeux vifs, pétillants,noirs et beaux, humant la sève d'or,la pomme entre tes pattes,que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux? - Monter le lac de sangdes hommes qui se battent. - Ecureuil de l'automne, écureuil de l'hiver,qui lances vers l'azur, avec tant de gaîté,ces pommes...que vois-tu? Demain tout comme Hier. Les hommes sont des fouset pour l'éternité.
Paul Fort, L'écureuil, dans: Ballades du beau hasard - Poèmes inédits et autres poèmes (coll. GF/Flammarion, 2009)
image: Les Saules / Cologny (2013)
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27/06/2013
Morceaux choisis - Jean-Pierre Lemaire
Jean-Pierre Lemaire
Le soleil de Paudécoupe dans les murs successifs des annéesdes trous circulairesà travers lesquels tu vois se parlerla mère et la fille en robes de mariée,Eurydice âgée et la jeune ménadequi lui rapporte enfin la tête d'Orphée;il chante à nouveau sur le mode majeuren respirant l'odeur résineuse des Landes.Il entend de loin le choeur de l'océanavec toutes ses voix étagées dans le temps,formidables déjàcomme les trompettes qui proclamerontà la fin sur les toitsce qu'au fil des jours, dans l'ombre des maisons,aura murmuré la fidélité.
Jean-Pierre Lemaire, Choral, dans: Faire place (Gallimard, 2013)
22:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
24/06/2013
Lire les classiques - Charles-Marie Leconte de Lisle
C.M.R. Leconte de Lisle
Merci à Mira K
Mélodieuses voix qui chantiez mon aurore,Extase, amour, génie, ô mes rêves perdus,O mes rêves si doux, reviendrez-vous encore?Essaims éblouissants, qu’êtes-vous devenus?... Qu’êtes-vous devenus, parfums de ma jeunesse,Qui jetiez sur ma vie une éclatante ivresse,O rayons de mon âme, élans impérieux,Qui, sur vos ailes d’or, m’emportiez dans les cieux?...Oh! vous n’êtes donc plus, émotions berçantes,Charmes intérieurs, promesses ravissantes,Qui me faisiez, devant un avenir si doux,Ainsi que devant Dieu, plier mes deux genoux?...O rêves, pour mon cœur maintenant solitaire,Le bonheur inconstant a déserté la terre,Et, laissant se flétrir mon primitif amour,Sur votre aile il a fui vers l’immortel séjour!... Doux oiseaux, dont l’essaim se nomme poésie,Vous qui m’avez sevré des gouttes d’ambroisie,Et qui, portant au loin votre essor gracieux,A mon regard éteint avez caché les cieux,Songes jeunes et beaux, rayons lointains de gloire,Intimes souvenirs que garde ma mémoire,Espérance, bonheur que je pleure tout bas,Adieu, tout est fini ;... vous ne reviendrez pas!...Sur mon joyeux matin le soir jette son ombre;Mon riant horizon devient muet et sombre;Tout me fuit : ciel natal, doux espoir, frais amour...Et mon cœur attristé s’est fermé sans retour. Mélodieuses voix qui chantiez mon aurore!Extase, amour, génie, ô mes rêves perdus,O mes rêves si doux, reviendrez-vous encore?...Essaims éblouissants, qu’êtes-vous devenus?...Charles-Marie Leconte de Lisle, Premier regret, dans: Oeuvres complètes vol. 1 (Honoré Champion, 2011)
image: www.picstopin.com
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16/06/2013
Lire les classiques - Louise Michel
Louise Michel
Hirondelle qui vient de la nue orageuseHirondelle fidèle, où vas-tu? dis-le-moi.Quelle brise t’emporte, errante voyageuse?Ecoute, je voudrais m’en aller avec toi, Bien loin, bien loin d’ici, vers d’immenses rivages,Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts,Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges,Vers les astres errants qui roulent dans les airs. Ah ! laisse-moi pleurer, pleurer, quand de tes ailesTu rases l’herbe verte et qu’aux profonds concertsDes forêts et des vents tu réponds des tourelles,Avec ta rauque voix, mon doux oiseau des mers. Hirondelle aux yeux noirs, hirondelle, je t’aime!Je ne sais quel écho par toi m’est apportéDes rivages lointains ; pour vivre, loi suprême,Il me faut, comme à toi, l’air et la liberté.
Louise Michel, A travers la vie et la mort (La Découverte, 2001)
image: Jari Peltomäki, Hirondelle de rivage (vogelwarte.ch)
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14/06/2013
Lire les classiques - Louise Ackermann
Louise Ackermann
Levez les yeux! C’est moi qui passe sur vos têtes,Diaphane et léger, libre dans le ciel pur;L’aile ouverte, attendant le souffle des tempêtes,Je plonge et nage en plein azur. Comme un mirage errant, je flotte et je voyage.Coloré par l’aurore et le soir tour à tour,Miroir aérien, je reflète au passageLes sourires changeants du jour. Le soleil me rencontre au bout de sa carrièreCouché sur l’horizon dont j’enflamme le bord;Dans mes flancs transparents le roi de la lumièreLance en fuyant ses flèches d’or. Quand la lune, écartant son cortège d’étoiles,Jette un regard pensif sur le monde endormi,Devant son front glacé je fais courir mes voiles,Ou je les soulève à demi. On croirait voir au loin une flotte qui sombre,Quand, d’un bond furieux fendant l’air ébranlé,L’ouragan sur ma proue inaccessible et sombreS’assied comme un pilote ailé. Dans les champs de l’éther je livre des batailles;La ruine et la mort ne sont pour moi qu’un jeu.Je me charge de grêle, et porte en mes entraillesLa foudre et ses hydres de feu. Sur le sol altéré je m’épanche en ondées.La terre rit; je tiens sa vie entre mes mains.C’est moi qui gonfle, au sein des terres fécondées,L’épi qui nourrit les humains. Où j’ai passé, soudain tout verdit, tout pullule;Le sillon que j’enivre enfante avec ardeur.Je suis onde et je cours, je suis sève et circule,Caché dans la source ou la fleur. Un fleuve me recueille, il m’emporte, et je couleComme une veine au coeur des continents profonds.Sur les longs pays plats ma nappe se déroule,Ou s’engouffre à travers les monts. Rien ne m’arrête plus; dans mon élan rapideJ’obéis au courant, par le désir poussé,Et je vole à mon but comme un grand trait liquideQu’un bras invisible a lancé. Océan, ô mon père! Ouvre ton sein, j’arrive!Tes flots tumultueux m’ont déjà répondu;Ils accourent; mon onde a reculé, craintive,Devant leur accueil éperdu. En ton lit mugissant ton amour nous rassemble.Autour des noirs écueils ou sur le sable finNous allons, confondus, recommencer ensembleNos fureurs et nos jeux sans fin. Mais le soleil, baissant vers toi son oeil splendide,M’a découvert bientôt dans tes gouffres amers.Son rayon tout puissant baise mon front limpide:J’ai repris le chemin des airs! Ainsi, jamais d’arrêt. L’immortelle matièreUn seul instant encor n’a pu se reposer.La Nature ne fait, patiente ouvrière,Que dissoudre et recomposer. Tout se métamorphose entre ses mains actives;Partout le mouvement incessant et divers,Dans le cercle éternel des formes fugitives,Agitant l’immense univers.Louise Ackermann, Nuage, dans: Oeuvres (L'Harmattan, 2005)
image: Ciel de Yens, Vaud / Suisse (2013)
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07/06/2013
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
merci à Christiane H
Si vous n'avez rien à me dire,Pourquoi venir auprès de moi?Pourquoi me faire ce sourireQui tournerait la tête au roi?Si vous n'avez rien à me dire,Pourquoi venir auprès de moi? Si vous n'avez rien à m'apprendre,Pourquoi me pressez-vous la main?Sur le rêve angélique et tendre,Auquel vous songez en chemin,Si vous n'avez rien à m'apprendre,Pourquoi me pressez-vous la main? Si vous voulez que je m'en aille,Pourquoi passez-vous par ici?Lorsque je vous vois, je tressaille:C'est ma joie et c'est mon souci.Si vous voulez que je m'en aille,Pourquoi passez-vous par ici?Victor Hugo, Les contemplations (coll.GF/Flammarion, 2008)
image: Auguste Rodin, La pensée (guesswhoandwhere.typepad.fr)
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02/06/2013
Lire les classiques - Alfred de Musset
Alfred de Musset
Oui, si j'étais femme, aimable et jolie, Je voudrais, Julie, Faire comme vous;Sans peur ni pitié, sans choix ni mystère, A toute la terre Faire les yeux doux. Je voudrais n'avoir de soucis au monde Que ma taille ronde, Mes chiffons chéris,Et de pied en cap être la poupée La mieux équipée De Rome à Paris. Je voudrais garder pour toute science Cette insouciance Qui vous va si bien;Joindre, comme vous, à l'étourderie Cette rêverie Qui ne pense à rien. Je voudrais pour moi qu'il fût toujours fête, Et tourner la tête, Aux plus orgueilleux;Être en même temps de glace et de flamme, La haine dans l'âme, L'amour dans les yeux. Je détesterais, avant toute chose,Ces vieux teints de rose Qui font peur à voir.Je rayonnerais, sous ma tresse brune, Comme un clair de lune En capuchon noir. Car c'est si charmant et c'est si commode, Ce masque à la mode, Cet air de langueur!Ah ! que la pâleur est d'un bel usage! Jamais le visage N'est trop loin du coeur. Je voudrais encore avoir vos caprices, Vos soupirs novices, Vos regards savants.Je voudrais enfin, tant mon coeur vous aime, Être en tout vous-même... Pour deux ou trois ans. Il est un seul point, je vous le confesse, Où votre sagesse Me semble en défaut.Vous n'osez pas être assez inhumaine. Votre orgueil vous gêne; Pourtant il en faut. Je ne voudrais pas, à la contredanse, Sans quelque prudence Livrer mon bras nu;Puis, au cotillon, laisser ma main blanche Traîner sur la manche Du premier venu. Si mon fin corset, si souple et si juste,D'un bras trop robusteSe sentait serré, J'aurais, je l'avoue, une peur mortelle Qu'un bout de dentelle N'en fût déchiré. Chacun, en valsant, vient sur votre épaule Réciter son rôle D'amoureux transi;Ma beauté, du moins, sinon ma pensée, Serait offensée D'être aimée ainsi. Je ne voudrais pas, si j'étais Julie, N'être que jolie Avec ma beauté.Jusqu'au bout des doigts je serais duchesse. Comme ma richesse, J'aurais ma fierté. Voyez-vous, ma chère, au siècle où nous sommes, La plupart des hommes Sont très inconstants.Sur deux amoureux pleins d'un zèle extrême, La moitié vous aime Pour passer le temps. Quand on est coquette, il faut être sage. L'oiseau de passage Qui vole à plein coeurNe dort pas en l'air comme une hirondelle, Et peut, d'un coup d'aile, Briser une fleur.Alfred de Musset, Conseils à une parisienne, dans: Poésies nouvelles (coll. GF/Flammarion, 2000)
image: daisy13.unblog.fr
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31/05/2013
Carjo Mouanda 1b
Morceaux choisis - Carjo Mouanda
Congo, mon CongoLa terre de mes aïeuxDans ton sein mes ancêtres ont vu le jourAutrefois terre sereine avec eux Mais? Pourquoi?O! CongoMieux vaut pour moi la vie avec rienQue ma mort dans un cercueil en orPourquoi! Pourquoi! CongoPourquoi me fais-tu gémir? Je pourrais faire de toi une écolePour mieux apprendre la libertéCelle que nous chantons tous les jours haut et fortSi j'étais au théâtreUn grand rire jaillirait de ma boucheUn rire, hélas, saturé d'émoi Congo, mon CongoLaisse-moi grandir.
Carjo Mouanda, Congo la terre des aïeux, dans: Cri de douleurs (Lire et Méditer, 2013)
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24/05/2013
Lire les classiques - Alfred de Musset
Alfred de Musset
Pâle étoile du soir, messagère lointaine,Dont le front sort brillant des voiles du couchant,De ton palais d'azur, au sein du firmament,Que regardes-tu dans la plaine? La tempête s'éloigne, et les vents sont calmés.La forêt, qui frémit, pleure sur la bruyère;Le phalène doré, dans sa course légère,Traverse les prés embaumés. Que cherches-tu sur la terre endormie?Mais déjà vers les monts je te vois t'abaisser;Tu fuis, en souriant, mélancolique amie,Et ton tremblant regard est près de s'effacer. Étoile qui descends vers la verte colline,Triste larme d'argent du manteau de la Nuit,Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine,Tandis que pas à pas son long troupeau le suit, Étoile, où t'en vas-tu, dans cette nuit immense?Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux?Où t'en vas-tu si belle, à l'heure du silence,Tomber comme une perle au sein profond des eaux? Ah ! si tu dois mourir, bel astre, et si ta têteVa dans la vaste mer plonger ses blonds cheveux,Avant de nous quitter, un seul instant arrête; Étoile de l'amour, ne descends pas des cieux!
Alfred de Musset, Le saule, dans: Premières poésies (coll. GF/Flammarion, 1998)
image: Francois Martin Kavel, A Summer Rose (french-painters.blogspot.com)
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17/05/2013
Lire les classiques - Mikhaïl Lermontov
Mikhaïl Lermontov
Lorsque j'entends ta voixsonore et caressante,comme un oiseau captifmon coeur tressaille et chante. Lorsque je vois tes yeux,tes yeux d'azur profond, mon âme au-devant d'euxveut s'élancer d'un bond. Et je veux rire et veuxsangloter tour à tour:mes bras àton cou blancfont un collier d'amour * Quand je te vois sourire,mon coeur s'épanouit,et je voudrais te dire,ce que mon coeur me dit! Alors toute ma vieà mes yeux apparaît:je maudis, et je prie,et je pleure en secret. Car sans toi, mon seul guidesans ton regard de feumon passé paraît vide,comme le ciel sans Dieu.
Mikhaïl Lermontov, Le destin du poète, dans: Oeuvres poétiques (L'Age d'Homme, 1985)
traduit du russe par Hemri Grégoire
image: Tatiana Nikolaïevna (http://fr.wikipedia.org)
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